Le coût d’un bien ou d’un service n’existe pas : quel impact sur la gouvernance ?

« On ne peut jamais vraiment parler du coût d’un bien ou d’un service, mais il est plus exact de parler de coût d’une décision en indiquant à quel niveau on la considère. » 

La première fois que j’ai entendu cette phrase, c’était sur les bancs de l’école par un professeur qui allait devenir prix Nobel d’économie en 1988 et qui avait prédit la crise de 2007/2008 avant de décéder dans sa centième année en 2010. 

J’ai pu vérifier à maintes reprises le bien fondé de cet enseignement, et dans mes missions c’est devenu un marqueur essentiel pour délivrer les résultats attendus. Donnons d’abord quelques exemples illustrant cette notion ; on peut par ailleurs se référer à la métaphore du voyageur de Calais que Maurice Allais (car il s’agit bien de lui !!)  a développé pour étayer son propos : http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Allais . 

Il y a vingt ans, dans une société de restauration collective nous encaissions énormément de petits chèques des consommateurs qui alimentaient leurs comptes sur tout le territoire ; notre banquier vient nous voir et nous dit en substance qu’ils ont fait des calculs sur les coûts de revient de tous ces dépôts dans leurs agences, et qu’en conséquence ils allaient devoir nous les facturer. Après plusieurs vaines discussions ils passent à l’acte. Dès le lendemain la société mère retire ses dépôts de trésorerie dans cette banque et le surlendemain nous recevons un appel des patrons de cette banque qui annulent ces facturations complémentaires !!  

Quelques années plus tard, nous nous sommes attelés à la lourde tâche de rationaliser la logistique de livraison des 2500 restaurants tous très différents (de 100 repas par jour à 20 000 repas par jour), au départ chaque restaurant avait le même coût unitaire pour un produit (logistique incluse), dans la négociation avec les fournisseurs nous avons séparé le coût du produit de celui de la logistique en openbook, en revanche pour le P&L du restaurant nous avons introduit un forfait logistique dépendant de la taille du restaurant mais déconnecté de la négociation et donc des coûts facturés, rapidement les responsables de restaurant ont modifiés leurs comportement d’approvisionnement en réduisant les fréquences de livraison, en étant très compliant sur les produits référencés (etc…), et des savings très importants ont été réalisés. L’important ce n’est pas d’affecter des coûts au réel mais de mettre en place un mécanisme qui instille un bon comportement des acteurs pour qu’ils prennent les décisions attendues et efficaces. 

Dans une mission récente, je dois renégocier un contrat en openbook, le prestataire titulaire du contrat m’explique chiffres à l’appui qu’il perd de l’argent sur la majorité des références. Après un benchmark, je propose à la société mère du fournisseur de transférer des produits dans d’autres usines de leur groupe plus efficace, ou de les sortir du contrat. Pour contrer mes arguments ils m’opposent un raisonnement différent, en calculant la contribution de chaque produit (différence entre le prix de vente et leurs coûts directs) ils me montrent le manque à gagner pour couvrir les frais fixes. Je m’aperçois que les contributions sont plus fortes que celles calculées à partir de l’openbook contractuel. En effet les usines assemblent des produits provenant d’autres usines avec des prix de transfert incluant une contribution pour le groupe. La discussion a ensuite était plus courte et efficace.. 

Fort de cet enseignement maintes fois démontré sur le terrain j’en ai retiré des règles de méfiance sur les organisations trop axées sur la prise en compte des prix de revient. Ainsi, lorsque les réunions business sont centrées sur l’explication du passé et non pas sur les actions à entreprendre, lorsque les membres du comité de direction s’inquiètent du calcul de leur prix de revient et des affectations des coûts au lieu de suivre le déroulement des plans d’actions, lorsque l’on passe plus de temps à savoir si on est conforme aux procédures d’investissement plutôt que de regarder les opportunités et les conséquences mesurées en cash de ces investissements, en général on constate une certaine démotivation du comité de direction. Dans ces cas proche de la bureaucratie, une remobilisation de l’entreprise est nécessaire en simplifiant les process de décision. 

 

Recommandations  pour simplifier les process de décision : 

  • Evacuer les « dauphins » : tous les sujets qui remontent à la surface et dont on sait pertinemment que l’on n’a pas le temps ou les moyens de les traiter (changer l’ERP, déménager une usine, …) 
  • Identifier et traiter tous les « irritables » : tous les sujets qui n’ont pas été traités et qui polluent les relations humaines et sociales (y compris les inégalités de traitement) 
  • Redéfinir  les targets essentiels à atteindre : ne pas être « incrémental » du type améliorer de 3% les ventes mais plutôt doubler les ventes dans tel sous segment ou réduire les temps passés de 30% dans telle sous activité jugée inutile : ne pas raisonner en prix de revient mais en décisions concrètes à prendre. 
  • Affronter le « dilemme » réduire les coûts et augmenter la qualité. 
  • Dans l’opérationnel, mettre en place en face des clients une organisation claire qui dit oui, qui dit non (pour facturer plus) qui est le recours. 
  • Redéfinir la gouvernance : Etablir un calendrier des réunions où se prennent les décisions 
  • Etablir les règles de conduite et de comportement :  
  • On bâtit sur les idées des autres, on peut critiquer les idées mais pas les personnes. 
  • Dans les réunions on doit acter les décisions après avoir entendu tous les avis, ensuite on ne peut pas revenir sur une décision, on doit agir. 
  • Si on est incapable de décider classer le sujet dans la catégorie « dauphin » pour ne pas polluer les décisions futures. 

Dans notre monde moderne qui va vite, nous devons bannir la bureaucratie, la culture du prix de revient et privilégier « l’agilité » et la culture de la décision-action.