Intégration post-acquisition : faire vite ou faire mieux ?

Introduction

« Il n’y a rien de plus difficile à réaliser, ni de plus enclin à l’échec, ni rien de plus dangereux à gérer, que d’introduire un nouvel ordre des choses. Celui qui l’initie doit faire face à la résistance de tous ceux qui tirent profit de l’ancien système, et ne bénéficie que d’une aide prudente de la part de ceux qui pourraient tirer profit du nouveau système. »Machiavel. 

On lit diverses statistiques défavorables sur l’issue des fusions-acquisitions, la mesure restant difficile. Nombre d’entre elles sont considérées comme des échecs car leurs objectifs n’ont pu être atteints ou entièrement atteints.   

Quand ce n’est pas l’intention stratégique qui souffre d’imprécision, les raisons sont à rechercher dans des prévisions trop optimistes quant au potentiel de création de valeur, un prix excessif ou des problèmes liés à la mise en œuvre de l’opération. Avec un dénominateur commun : l’Humain. Engagées pour des raisons de gestion, industrielles, économiques, financières ou fiscales, les fusions acquisitions réussissent ou échouent en bonne partie pour des raisons de management, sociales ou humaines. 

Car, une fois l’opération finalisée, reste à « intégrer » la cible, ce qui s’apparente régulièrement à un défi, la conduite du changement se voyant doublée d’une condition singulière. C’est dans un périmètre humain impliquant les collaborateurs de deux entreprises qu’il s’agit d’appréhender et résoudre l’ensemble des problématiques pour créer de la valeur et dégager des revenus. 

Or, en dépit de due diligences souvent méticuleuses la composante humaine reste imparfaitement cernée jusqu’à la date du closing, et après cette date, le temps est généralement compté pour réussir l’intégration. 

L’intégration

Les opérations de fusion-acquisition relèvent le plus souvent de stratégies de conquête technologique et commerciale, d’intégration verticale, de diversification ou d’optimisation financière et fiscale. Deux facteurs essentiels conditionnent l’intégration : d’une part l’interdépendance stratégique entre acquéreur et cible, d’autre part le besoin d’autonomie organisationnelle de la cible. Quand les domaines d’activité sont liés, on recherchera le plus souvent l’alignement avec des changements correspondants dans la culture et les systèmes, ou le maintien d’entités distinctes visant des relations approfondies au niveau opérationnel. 

Au plan structurel, différents modes d’organisation (absorption, Business Unit, holding, etc…) répondent au degré de contrôle ou d’autonomie visé, à l’étendue et au climat de coopération recherchés, et à l’intérêt pressenti à partager les bonnes pratiques. Au plan de la méthode, une bonne intégration impose de réfléchir au rapprochement de façon concrète bien en amont de la date de closing : 

  • en ayant une idée précise des processus et des fonctions qui pourront être réorientés voire fusionnées en cohérence avec la vision stratégique globale, 
  • en menant une réflexion sur la culture de la cible, 
  • en définissant les étapes du processus d’intégration afin d’appréhender les conditions et ressources nécessaires à son bon pilotage. 

Les fusions-acquisitions suscitent chez les salariés de l’entreprise acquise des interrogations, voire de l’anxiété qu’il faut prendre en compte pour éviter une attitude hostile pouvant aller jusqu’au manque de loyauté ou à la désertion. La perception d’une domination abusive ou de concurrence déloyale constituerait un frein majeur. Par la mise en place d’un vrai projet d’intégration, la voie sera balisée pour : 

  • communiquer de façon transparente, objective, bienveillante afin d’apporter une réponse aux besoins des deux parties quant à l’enjeu stratégique, humain et organisationnel 
  • mobiliser les équipes et remporter l’adhésion autour du projet d’intégration 
  • identifier les chantiers de création de valeur prioritaires, contrôler l’avancement des travaux et les réorienter autant que nécessaire. 

Il en va autant de la qualité objective de l’information qu’il sera possible d’obtenir sur la cible que de la contribution de celle-ci au succès de l’opération. Si l’anticipation et le pilotage du processus d’intégration permettent la prise rapide de décisions importantes en vue de créer une dynamique, le projet partagé par tous constitue le chemin qui reste à parcourir pour réussir les synergies. Présentées comme l’argument en faveur du projet, il faut impérativement les réussir. 

La méthode

Mettre en œuvre des synergies impose de bien connaitre les ressources matérielles et immatérielles des parties. Dans un premier temps, l’information reste pourtant incomplète : structure de coût, accords avec fournisseurs et distributeurs, rentabilité par produit ou affaire, R&D,… De plus, elle n’intègre pas la composante humaine, qui impacte la fiabilité des synergies. Il conviendra de les réévaluer pour qu’elles reflètent un objectif perçu par les parties comme atteignable, et plus encore, louable. 

Pour y parvenir, il faut commencer par rapprocher les deux bords, et la communication institutionnelle n’y suffit pas à elle seule. Il est nécessaire d’établir des passerelles pour faire des inévitables questions une opportunité : «  Que fait l’autre pour moi ? Le peut-il ? Peut-il me comprendre ? Sommes-nous semblables ? » Même quand l’opération n’est pas transfrontalière, les différences pouvant devenir sources d’incompréhension et compromettre le rapprochement sont nombreuses : culture ingénieur vs marketing, produits vs solutions, ventes directes vs indirectes, organisation hiérarchisée vs structure plate, communication formelle vs informelle, etc… Susciter l’adhésion requiert une réelle capacité à intégrer des équipes de culture différente. 

Plus que de vérités absolues, l’intégration doit procéder d’attitudes et de bonnes pratiques. Un dirigeant anticipant les problèmes d’ordre technique ou psychologique peut avancer des solutions appropriées. Sa vision, son expertise, son sens de la différence, issus de l’expérience des problématiques rencontrées, réduit les incertitudes individuelles et collectives, rassure. Une bonne écoute et observation fondent la relation de proximité indispensable pour comprendre ce qui se passe réellement et inspirer la confiance. C’est une chimie fine qui confère de la valeur au couple, initiée par une communication devant certainement éviter de décevoir ou tromper. 

Une méthode pratique, qu’il faut adapter au cas par cas, a démontré toute son efficacité dans différents secteurs industriels. Elle consiste à réunir les spécialistes de part et d’autre par fonction ou processus. Mission première leur est impartie d’établir conjointement l’état de lieux des moyens et savoir-faire respectivement mis en jeu, ainsi que des résultats obtenus. Puis d’identifier et mettre en œuvre les bonnes pratiques et synergies. 

Au-delà du simple alignement, les réalisations de ces « groupes de travail » ont souvent dépassé des attentes orientées vers les meilleurs standards internationaux : 

  • R&D: développement accéléré d’un produit nouveau (machines-outils) sur un segment de marché encore inexploité, coût et temps de développement réduits de 38 % et 45 %. Plus largement : meilleur emploi des ressources, fiabilisation des développements design to cost, optimisation du management de variantes, élargissement de l’offre orientée service, time to market raccourci. Moyens : étude comparative des design (calculs, simulation, valorisation), adoption de CAO conjointe, partage de modules, mise en commun d’expertise technologique, gestion centralisée de modifications,… 
  • Production: mise en place d’un schéma de réallocation des moyens comme alternative à la concentration capitalistique avec une baisse de taux horaire de 10 % (équipements logistiques). Plus largement, alignement en termes d’expertise métier (ordonnancement, industrialisation, …). Moyens : analyse comparative des schémas industriels, évaluation de l’outil et des méthodes, partage de moyens capitalistiques,… 
  • Achat: sécurisation du sourcing d’un composant stratégique (ferroviaire) couplée à économie substantielle de coût (32 %). Plus largement : accès et fiabilisation de sources nouvelles, économies et fonctionnalités nouvelles. Moyens : mise en commun de bases de données, harmonisation de la codification, re-engineering achat, réduction du nombre de fournisseurs, plan d’actions groupées,… 
  • Marketing/commercial: accès ouvert à un appel d’offres sur un marché règlementé (énergie). Plus largement, construction d’une offre globale, développement de présence globale, accès à nouveaux marchés, pouvoir de négociation amplifié. Moyens : accroissement de l’intelligence marché (quantités, segmentation, prix, concurrence, nombre de fournisseurs consultés, délai marché, critères de sélection,…), élargissement du radar de veille commerciale, analyse de la performance (pourcentage devis transformés, variance des marges par vendeur ou affaire…), analyse de la satisfaction client, harmonisation des plans de communication, action commerciale conjointe,… 
  • SAV: lancement fructueux d’une offre nouvelle de diagnostic périodique (machines-outils). Plus largement, optimisation de l’offre et de l’organisation, développement du CA. Moyens : analyse des taux de service et  
  • RH: mise en place du « plan de la tuile » en vue de pallier la défaillance impromptue d’un responsable N-1/N-2 (machines-outils). Plus largement : développement des compétences et des attitudes positives. Moyens : analyse des indicateurs respectifs, examen des parcours et rémunérations, comparaison des techniques de gestion prévisionnelle,…  
  • Finance: réduction de 50 % des échus associée à réduction du temps consacré à la gestion du poste clients (équipements logistiques). Plus largement, transparence financière et économique accrues, nouvelles sources de financement, frais financiers et de fonctionnement réduits. Moyens : analyse financière comparative, analyse de rentabilité par produit/affaire, revue des méthodes (modélisation/suivi de trésorerie,…), harmonisation des standards de reporting/KPI,… 

Claire dans son principe, la méthode nécessite l’implication des dirigeants, la nomination de responsables tournants, une gestion en mode projet et un management visible. Ce cadre favorise l’objectivité des échanges, une meilleure compréhension de l’autre et l’émulation propice à la création de valeur. La bonne surprise pour chacun, ce sont ses « découvertes », à l’origine d’un partage équitable de l’effort d’adaptation. Dans un cas, c’est l’intérêt du dépassement de fonction pour sa propre efficacité, dans l’autre la force d’innovation offerte par le creuset de l’information formé par le groupe de travail, dans un autre encore l’impact positif de « la pression d’enjeu » sur la motivation des équipes. Autant d’apprentissages de nouveaux enjeux et expertises. 

On observera que la méthode s’inscrit opportunément dans l’esprit du « rapport d’étonnement » bien connu du management de transition qui, partant d’objectifs et d’une situation pressentis, révèle les écarts et préconise le possible. La direction, diagnostiquant la situation réelle à son arrivée in situ, associe tous les acteurs à la réalisation du possible, techniquement et humainement. 

S’il y a matière et manière pour mettre en route une collaboration sur un mode coopératif et obtenir des résultats quelles que soient les configurations « d’égaux » (et d’ego) rencontrées, il n’est toutefois pas rare que des vents défavorables conduisent à temporiser. Plutôt que compromettre une opération perçue comme une belle opportunité, l’acquéreur préfèrera s’accommoder d’une intégration tardive. Il la remet au moment où il s’en donnera pleinement les moyens :  

  • cette ETI saisit l’opportunité de la création d’une nouvelle usine en greenfield pour intégrer une filiale technologique restée jusque-là rétive, en lui permettant l’accès aux meilleurs standards internationaux en production, 
  • ce conglomérat anglo-saxon, ayant tardé à intégrer une acquisition française du fait d’un contexte socio-politique local hasardeux, lance finalement l’opération à l’occasion d’un regroupement avec d’autres acteurs internationaux, nouvellement entrés dans son portefeuille pour viser la taille mondiale dans le métier concerné, 
  • ce groupe français, initialement minoritaire dans une filiale étrangère opérant en marge de son cœur de métier, devient majoritaire et l’intègre pour assurer la visibilité indispensable à lui trouver un nouveau partenaire. 

C’est après avoir maintenu temporairement l’ancien propriétaire ou dirigeant aux commandes que l’acquéreur prend les rênes. Une nouvelle gouvernance, l’affichage d’une nouvelle stratégie, un nouveau management et une méthode pratique restent les outils de choix pour faciliter l’intégration. 

Conclusion

L’identification des clés d’intégration de la cible est primordiale pour le succès d’une opération de fusion-acquisition. 

On ne saura s’exonérer de prendre en compte le facteur humain de la meilleure façon possible, sans pour autant méconnaitre les fondamentaux : quelle est l’attente des marchés et des clients, comment créer de la valeur et dégager des profits, comment développer et pérenniser le business ? Le processus d’intégration devra concilier les deux exigences. 

Faire vite ne signifie pas faire mieux. Le timing et le rythme sont déterminants pour la qualité du résultat, plus que la vitesse pure. Anticipant et pilotant l’intégration, les dirigeants sont en première ligne. Créer des interdépendances stratégiques en limitant les initiatives destructrices de valeur s’apparente parfois à un chemin de crête.  Courage et doigté sont nécessaires. S’il faut savoir se montrer consensuel, sans doute faudra-t-il ne pas s’abstenir au besoin de rappeler qui est décisionnaire. Si le succès peut être partagé par tous, l’échec n’a in fine qu’un responsable. 

Comme toujours, le management intermédiaire constitue la courroie de transmission indispensable. Il doit être méthodiquement mis en valeur. Avec les dirigeants, il forge la première conquête des parties : l’enrichissement du savoir de l’autre. 

Certainement pas la moindre des synergies sur la voie de la réussite.