Rôle des actionnaires et dirigeants face à la fronde sociale

Le nombre de liquidations judiciaires d’entreprises, de fermetures de sites et de plans sociaux d’entreprise se multiplient. En tant que dirigeant de transition professionnel, avec une expérience de la gestion de crise d’entreprise,  je constate un fort accroissement de sollicitations dans ce domaine depuis cet automne, pour des opérations dont ni les pouvoirs publics ni les médias ne sont encore au courant. D’après mon observation, en général les critères de sélection des managers qui vont gérer ces opérations et les formes de restructuration envisagées privilégient comme d’habitude le résultat économique de l’entreprise au dépend de l’impact social. Mais, est-ce que le vent de fronde sociale soufflant sur notre pays permettra de réaliser ces opérations comme d’habitude ? N’y a-t-il pas d’autres moyens de sauver notre économie et nos emplois ? 

Il n’y a pas de solution universelle, cela se saurait, mais de nombreux exemples de crises d’entreprises qui ont permis de faire éclore de nouvelles activités et de préserver une bonne partie ou tous les emplois concernés. Ces expériences se basent sur des principes tels que : l’humain d’abord, l’ancrage territorial, la solidarité, la relocalisation, l’innovation, l’exploitation ou le développement des compétences, parfois le changement radical d’activité et le transfert de propriété de l’entité concerné à de nouveaux actionnaires plus portés sur des valeurs que sur le profit. 

Par exemple, l’entreprise Ceralep, fabricant d’isolateurs électriques en porcelaine que son propriétaire souhaitait mettre en liquidation judiciaire, a été rachetée en 2004 par une cinquantaine de salariés, environ la moitié de l’effectif, soutenus par la communauté locale. L’entreprise s’est depuis développé et a recommencé à embaucher. Autre exemple, la filiale française de CCM Sulzer, fabricant de gros moteurs diesels, d’environ 2000 employés, était au bord de la faillite dans les années 80 du fait de la grosse chute du marché des chantiers navals. Plutôt que d’avoir recours à un licenciement massif, son dirigeant à parié sur l’imagination, l’énergie et la coopération de ses employés pour repositionner l’entreprise sur le marché des centrales électriques. 12 années plus tard l’entreprise était leader mondial dans son secteur. A noter aussi le cas du Groupe Archer qui a convaincu en 2011 la société Sodimas, fabricant d’ascenseur, de remplacer le projet de délocalisation d’une partie de la production en Chine par un transfert de sa technologie au Groupe Archer en France. L’opération a été un succès et d’autres coopérations seraient à l’étude entre les 2 entreprises. De nombreux autres exemples de ce type sont présentés dans le petit livre « L’économie qu’on aime ! » écrit par Amandine Barthélémy, Sophie Keller et Romain Stiline. 

On ne peut pas systématiser ces types de solutions, mais on peut sûrement les multiplier si elles sont privilégiées et facilitées par les actionnaires, dirigeants et donneurs d’ordre d’entreprises en difficulté. Cela peut leur paraître idéaliste et inenvisageable, car il n’est pas facile d’imaginer que la solution se trouve en dehors du périmètre habituel de l’entreprise ou que d’autres peuvent réussir là où l’on a échoué. Pourtant, comme l’a dit Albert Einstein « aucun problème ne peut être solutionné au même niveau de conscience que celui où il a été créé ». De plus, compte tenu du climat social et économique exceptionnel que nous vivons, ces décideurs ont intérêt à reconsidérer leurs méthodes habituelles de restructuration. 

Dans ce contexte, la question ne doit plus être, par exemple, « Qui va s’occuper de réaliser le PSE et fermer le site afin de permettre à notre entreprise de redevenir rentable ? », mais « Comment allons-nous permettre l’émergence d’une solution pour sauver le maximum d’emplois, tout en permettant à notre entreprise de redevenir rentable ? » 

Les moyens à mettre en œuvre pour cela ne doivent pas être des experts uniquement en : 

  • livres I et II du PSE, 
  • reclassement individuel des employés, 
  • fermeture de site 
  • et liquidation judiciaire, 

mais un nouveau manager ou une équipe ou un partenaire aux compétences suivantes : 

  • savoir-faire pour élaborer, négocier et mener à bien un projet de réorganisation dont le PSE n’est qu’une composante optionnelle, 
  • éthique, neutralité et capacité de dialogue avec toutes les parties prenantes, dans et hors de l’entreprise 
  • vision et savoir-faire autant économique que social et sociétal 
  • créativité et leadership pour faire éclore puis mettre en œuvre des solutions nouvelles. 

On peut répondre à ces propositions qu’il existe déjà des obligations de reclassement du personnel pour les entreprises et des dispositifs de revitalisation de bassins économiques, … Oui, mais ces obligations et dispositifs seront beaucoup plus efficaces et porteurs de solutions durables si l’ensemble des actionnaires, dirigeants et donneurs d’ordres des entreprises en difficulté intègrent le plus tôt possible la sauvegarde des emplois (pas obligatoirement dans leur entreprise) comme une priorité.